UN PORT TROP LOIN – 1944 L’ARMÉE de Terre BRITANNIQUE À BREST

En 2024, quatre-vingts ans se seront écoulés depuis la libération de la France après quatre longues années d’occupation nazie. L’attention se portera sur le débarquement du Jour J et la libération de Paris, mais l’audacieuse ruée vers Brest, la plus grande base navale française de l’Atlantique et une importante base américaine 24 ans plus tôt, lors de la Première Guerre mondiale, a été largement oubliée.

Malgré l’ingéniosité des ports flottants « Mulberry », les Alliés avaient désespérément besoin d’un port important pour soutenir leur avancée en France. Ils devaient également éliminer la menace que les sous-marins allemands faisaient toujours peser sur leur voie d’approvisionnement transmanche. La capture de Brest, l’un des objectifs initiaux de l’opération « Overlord », aurait permis d’atteindre ces deux objectifs.

Le 1er août, après la prise d’Avranches, la 6e division blindée de l’armée américaine reçoit l’ordre de sortir de la tête de pont de Normandie, pour s’élancer à l’ouest vers la Bretagne. Une partie de la division oblique vers Saint-Malo pour tenter de capturer ce port plus petit mais plus proche (la garnison se rend le 17 août).

Les premières unités de l’armée américaine atteignent les villages à la périphérie de Brest le 7 août. Mais la garnison allemande s’avère plus importante que prévu. Le temps nécessaire pour renforcer les formations américaines a permis aux Allemands de doubler la garnison pour la porter à plus de 30.000 hommes.

Le 26 août, les Américains, renforcés par les 2e, 8e et 29e divisions  d’infanterie de l’armée américaine, ainsi que par les 2e et 5e bataillons de Rangers, lancent leur assaut sur la ville. Les semaines suivantes sont marquées par une bataille épuisante et acharnée, les Américains cherchant à écraser les défenses bien préparées de la garnison, basées sur les fortifications originales du style Vauban datant du XVIIIe siècle.

Le 2 septembre, à quelque 500 km à l’est, à Bourg Achard, près de Rouen, l’escadron B du 141e régiment du Royal Armoured Corps (The Buffs) se prépare  à traverser la Seine lorsqu’il reçoit  l’ordre de rejoindre les forces américaines attaquant Brest.

La  141e RAC est  une unité britannique spécialisée dotée de chars Churchill dénommés « Crocodiles» dotés en plus de leur canon de 75mm d’un lance-flammes conçu pour venir à bout des positions fortifiées retranchées. Un petit nombre de Churchill non lance-flammes sont armés pour l’appui rapproché d’un obusier de 95mm.  L’armée britannique est à l’époque, la seule à avoir développé et déployé cette capacité. Le Churchill est  également réputé pour sa capacité tout-terrain et sa bonne résistance aux coups.

Le déplacement vers la Bretagne par transporteur de chars dure 4 jours. Le détachement précurseur arrive à Lesneven le 7 septembre et l’ensemble de l’escadron (15 chars Crocodile) est rassemblé au Folgoët le lendemain.

Les chars sont sur place équipés de taille-haies “Rhinocéros” construits pour passer au travers des nombreux petits talus entourant les champs, et commencent à s’entraîner  avec l’infanterie américaine qui n’a jamais opéré avec des chars d’assaut spécialisés.

La première opération sur Lambezellec, est annulée au profit d’une attaque sur le Fort Montbarey. Les défenses extérieures du fort sont extrêmement solides. Non seulement les murs massifs en granit font plusieurs mètres d’épaisseur, mais les Allemands ont créé autour un important champ de mines comportant notamment des obus de marine de 140 kg, complété  par un large fossé antichar et trois lignes de défense défendues par des mitrailleuses, des canons de 40 et 20 mm, dans des bunkers. L’ensemble de cette zone est tellement cratérisé qu’elle est presque impraticable pour des chars ordinaires. Le fort lui-même, défendu par un mélange d’unités autour d’un noyau de parachutistes allemands “Fallschirmjägers”, est entouré de chemins creux et d’un fossé de 12 mètres de large et de 6 mètres de profondeur.

Au petit matin du 14 septembre, les chars du 8e peloton, sous le commandement du lieutenant Anthony Ward, prennent position. L’attaque du fort dure trois jours (pour un compte rendu détaillé, voir ‘Le chaos de la guerre’).

Mais le 16 septembre, les défenseurs allemands finissent par se rendre. C’est le début de la fin. Le 18 septembre, la garnison de la ville fait de même. Le commandant allemand, le général Ramcke, qui s’est échappé de l’autre côté de la rade de Brest, se rend officiellement le 19 septembre.

Le 17 septembre, les armées alliées du nord de la France lancent l’opération « Market Garden » pour tenter de traverser le Rhin. Si Arnhem s’est avéré être “Un pont trop loin”, Brest, un des objectifs de  l’Opération Overlord », s’est avéré être “Un port trop loin”. Les combats intenses et les bombardements de cinq semaines ajoutés aux bombardements depuis 1940 ont laissé la ville en ruines et les Allemands ont eu le temps de saboter toutes les installations portuaires.

L’armée américaine s’est montrée très reconnaissante du rôle joué par les hommes du 141 RAC pour venir à bout de la garnison allemande. Le lieutenant Ward a reçu la Silver Star (équivalent de la croix de guerre française) et 13 autres la Bronze Star (idem précédemment à un autre niveau), soit le nombre le plus élevé de décorations jamais attribué à une seule unité de l’armée britannique. Le général William Sands, de la 29e division américaine, a écrit pour louer “le grand courage dont ont fait preuve l’unité britannique et l’infanterie américaine”.

Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose pour nous rappeler ce conflit lointain. Fort Montbarey est resté une base militaire jusqu’à la fin des années 1960. C’est aujourd’hui un musée où est exposé un Churchill crocodile. Une exposition permanente contient les médailles du lieutenant Ward et un mannequin représentant un Trooper du 141 RAC. Les corps des soldats britanniques et américains qui ont perdu la vie dans ces combats ont été ré-enterré dans les cimetières britanniques et américains de Normandie.

Remerciements : Un grand merci à l’équipe du Bovington Tank Museum, Montbarey Museum et le National Army Museum, ainsi qu’à Robert Le Chantoux, Grahame Eckworth, Nick Howes, Ken Lynn, David Page, Gildas Priol, John Smith, et Mike’s Research